Portraits du Collectif Tricolor. Une multiplicité de professions, et autant d’hommes et de femmes engagés dans la restructuration des filières lainières françaises. À travers une série d’entretiens, le Collectif Tricolor vous emmène à la rencontre de ses partenaires. __________________________________

Aujourd’hui, rencontre avec Éric Mézin, délégué général de l’Union des Industries Textiles et de l’Habillement du Nord [UITH Nord].
 

Aux côtés du Collectif Tricolor depuis le début, le syndicat professionnel des industriels du textile et de l’habillement de la région des Hauts-de-France s’appuie sur les richesses du travail collectif pour parler de la restructuration des filières lainières françaises. Fruit de l’association entre deux syndicats régionaux, UITH Nord soutient la valorisation, le développement, et l’accompagnement des entreprises de la filière textile dans le Nord.

Pour commencer, que vous évoque personnellement le mot 
« laine » ?

Ce qui me vient en tête, c’est un délai. Un espace-temps. La laine s’inscrit indiscutablement dans une temporalité donnée, depuis le dos du mouton jusqu’à sa présence en boutique... sous forme de costume par exemple. Ce délai de transformation est de 52 semaines, et lorsqu'on aborde le problème de la traçabilité dans le cadre du travail, j’utilise toujours l’image du mouton pour parler de matière première. En effet, ces 52 semaines sont pour moi synonymes d’un cheminement. Il faut savoir qu’il y a toute une industrie et des savoir-faire qui se succèdent derrière un produit fini. Et puis l’animal est vivant et évocateur, ce qui est moins le cas d’un champ de coton. Je dirais donc que la différence entre les deux matières réside dans l’intention. Un champ de coton est cultivé, la matière est créée ex nihilo... alors que la laine revient chaque année sur le dos du mouton. Je pense qu’il faut souligner la valorisation, plus que la création de matières.

 

Qu’est-ce qui vous a amené à exercer votre profession ? 

Au départ et un peu par défaut, j’ai intégré l’école d’ingénieurs textiles de Roubaix [l’ENSAIT]. Mais au fil des expériences et des contacts créés, j’ai délibérément choisi de travailler pour la filière textile. Vue de l’extérieur, cette filière possède une image négative, souvent associée à l’habillement et aux grandes enseignes. En ayant changé de perspective, j’affirme qu’elle est beaucoup plus dynamique, intéressante et passionnante vécue de l’intérieur ! Je tiens donc à souligner la dimension volontaire de ma présence dans ce secteur, car choisir de participer au développement d’une filière [UITH est le syndicat principal des industries textiles et habillement] implique un engagement envers celle-ci et une appréhension réellement stimulante des enjeux. 
 

Attention, travailler en collectif avec UITH n’était pas une vocation. Jeune, il est difficile de savoir ce qu’est un syndicat professionnel… Cela s’est présenté comme une opportunité que je salue aujourd’hui. Avoir pour terrain de jeu non pas une seule, mais des dizaines d’entreprises aux profils très différents implique des thématiques de travail variées et beaucoup de réseautage. Le système collectif leur permet de travailler ensemble, et à la différence de Tricolor au sein duquel les intérêts des membres convergent, il n’est pas toujours évident chez nous d’animer des groupes au sein desquels les intérêts des entreprises peuvent diverger. Sans être au cœur des problématiques d’une seule structure, travailler avec 150 points de vue différents procure énormément d’informations et de richesses, et permet d’avoir une vision large et exhaustive de la filière.

 

 

 

« [UITH] crée un écosystème entièrement intégré. [...] Aujourd’hui, soutenir l’élevage et la formation aux côtés de la recherche et de l’industrie permet non seulement de conserver mais aussi de développer l’identité textile de la région. »

 

 

 

Quel rapport entretenez-vous au territoire dans lequel vous vous inscrivez ? 

Chez UITH Nord, nous représentons et travaillons avec les entreprises textiles et habillement des Hauts-de-France, une région historiquement et encore aujourd’hui fortement imprégnée de la fibre textile. En tant que deuxième région française du secteur après la région Auvergne-Rhône Alpes, nous avons développé la marque ombrelle « Textile Valley », qui se veut une vitrine des savoir-faire et de l’innovation dans la région qui peut compter sur 400 entreprises industrielles et environ 14 000 emplois; ce qui additionné à l’école d’ingénieurs de Roubaix [ENSAIT, une des dernières de France], au CETI [Centre européen des textiles innovants], au pôle de compétitivité [Euramaterials], et aux écoles de mode comme l’ESMOD de Roubaix, crée un écosystème entièrement intégré. Aujourd’hui, soutenir l’élevage et la formation aux côtés de la recherche et de l’industrie permet non seulement de conserver mais aussi de développer l’identité textile de la région. 

Pour conclure sur la spécificité de notre territoire, j’aimerais évoquer le label Dentelle de Calais-Caudry® qui s’inscrit pleinement dans une revalorisation pérenne des savoir-faire régionaux. Il accompagne notre lancement en 2014 du label « Nord Terre Textile », dans la lignée de « France Terre Textile », qui valorise actuellement 25 entreprises (venez les découvrir ici !).

 

Les entreprises avec lesquelles vous travaillez communiquent-elles également entre elles ? Existe-t-il des relations qui dépassent le cadre du syndicat ?

Tout à fait, et il est intéressant de souligner que les entreprises travaillent de plus en plus ensemble, ce qui n’a pas été le cas pendant de nombreuses années. « Pour vivre heureux vivons cachés » nous dit le dicton. Dans le monde de l’industrie, et dans le Nord en particulier, les acteurs se connaissaient peu, mais la demande de mises en relation est aujourd’hui très présente. Pour répondre à ce besoin, nous sommes donc en train de développer un outil [Expertex] de cartographie de tous les savoir-faire industriels de la région pour faciliter leur mise en relation par la suite. 

Quelle place la laine a-t-elle au sein des industries textiles françaises ?

Comme vous vous en doutez, la laine est une matière très minoritaire. Cependant, si l’on remonte un peu dans l’histoire, le triangle Lille-Roubaix-Tourcoing était mondialement connu pour ses laines. Le négoce, le lavage, le traitement se faisaient avec des usines régionales réparties dans le monde entier. À cette époque, les industriels du Nord possédaient des sites en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud etc... Une sorte de mondialisation à l’envers. L’entreprise « La Lainière de Roubaix » était une place centrale de l’activité lainière et des personnalités politiques, comme la reine d’Angleterre Elisabeth II en 1957 ou le dirigeant politique soviétique Nikita Khrouchtchev en 1960, sont venus prendre connaissance de son activité ! C’est dire à quel point ce commerce possédait de la valeur. Aujourd’hui, malgré les coups subis par l’industrie de la laine, la place textile du Nord comporte encore un négociant, un peigneur [le dernier de France], des filatures, du tissage, tricotage, teinture… Au final, une filière quasiment complète rassemblée dans les Hauts-de-France.

 

C’est sûrement grâce à ce cadre historique que vous avez choisi de vous engager dans le Collectif Tricolor…

En effet, la résilience de la filière lainière dans le Nord a rendu tout à fait légitime notre place dans Tricolor, ainsi que notre contribution. Je dois aussi ajouter que dans les années 1970-1980, les Hauts-de-France sont devenus une terre de distribution, avec des chaînes comme Camaïeu, Promod, Pimkie, Décathlon, Kiabi... Si l’objectif de Tricolor est de viser la transformation d’un certain volume de laine, afin de pouvoir retrouver une production industrielle, ne serait-ce pas un mal pour un bien que d’avoir à un moment les distributeurs à nos côtés dans la chaîne de valeur ?

 

Dans quelle mesure votre profession s'engage-t-elle pour la société de demain ? 

Si « s’engager » est synonyme de « collectif », ou d’« institutions collectives », je dirais que oui, car nous  défendons collectivement une Profession, les industriels comme les entreprises. Nous allons défendre nos intérêts auprès des Pouvoirs Publics pour qu’ils prennent des décisions qui nous soient favorables, mais attention, nous ne sommes pas un mouvement politique, nous ne donnons pas de consignes de vote. Lorsqu’il y a des élections nous allons interroger les candidats, en région ou au national, par rapport à notre secteur textile et habillement. Nous faisons part de nos préoccupations industrielles, des prix de revient, des charges, mais nous ne donnons par la suite aucun guide ou conseils de vote.

 

Enfin, quelle serait selon vous l’action principale à réaliser aujourd’hui pour les filières lainières de demain ? 

Depuis ma perspective industrielle, nous voyons régulièrement des initiatives de développement de fils en laines françaises, et cela commence à se faire industriellement. Pour moi, le travail principal concerne la matière première elle-même, car je pense que des 4% de laines valorisées aujourd’hui, il faut viser les 30 à 50% dans dix ans. Il est certain que des outils devront parallèlement être développés et que nous devrons faire des essais, mais l’industrie est présente. Et si la matière première est là, l’industrie suivra… À condition peut-être de développer une étape de lavage efficace à un moment donné. Je concède que l’élevage est la partie de la chaîne que je connais le moins et c’est peut-être pour cela que j’en fait l’enjeu principal, mais je suis surtout conscient que le modèle économique ne sera pas difficile à mettre en place. L’enjeu réside dans l’inversion de la tendance auprès des éleveurs, qui doivent aller dans le sens de fibres de qualité et en quantité suffisante pour les passer en filature. S’ils y arrivent, derrière je ne suis pas inquiet. Quand il y a une volonté, il y a un chemin. Et il n’y a aucune raison que nous n’y arrivions pas.

 

- le 13 octobre 2021 
 

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