Portraits du Collectif Tricolor. Une multiplicité de professions, et autant d’hommes et de femmes engagés dans la restructuration des filières lainières françaises. À travers une série d’entretiens, le Collectif Tricolor vous emmène à la rencontre de ses partenaires. __________________________________

Aujourd’hui, rencontre avec Olivier Verrièle, directeur de la Société Choletaise de Fabrication [SCF].

Tisser, tresser, tricoter, crocheter… Rubans, lacets, cordons ou sangles… Les savoir-faire exceptionnels du textile étroit sont réunis dans le Maine-et-Loire, à Cholet, au cœur d’une entreprise au patrimoine exceptionnel, tournée vers le futur. Ici, le nouveau souffle de l’industrie textile, plus durable et local, se traduit par une fabrication de qualité sur des métiers datant de l’âge d’or du textile, comme par la sélection de matières premières nobles comme la laine, la soie ou le lin. 

Pour commencer, que vous évoque personnellement le mot 
« laine » ?

Eh bien pour commencer, je dirais que la laine m’évoque trois choses. Tout d’abord, comme un grand nombre d’entre nous, il y a la pelote de laine de la grand-mère qui tricote. Ensuite, un pull en laine que j’aimais beaucoup, la chaleur qu’il dégageait… Et enfin, cela me rappelle les moutons du pré à côté de ma maison d’enfance, en Pays de Loire. Nous allions les voir, enfants, et nous les haranguions. Je ne pourrais rien vous dire de l’éleveur ou de la race de ces animaux, qui étaient cependant très sympathiques…
 

Dans quel contexte avez-vous été amené à exercer votre profession ? 

Si je suis arrivé à la tête de la Société Choletaise de Fabrication, ce n’est pas par choix personnel, mais plutôt parce que l’ancienne dirigeante m’a choisi parmi d’autres acheteurs. En effet, c’est le cédant qui choisit son successeur, d’autant plus dans le cas d’entreprises aux savoir-faire très spécifiques ou au patrimoine exceptionnel. Je cherchais une société à racheter dans le milieu textile, pas forcément dans l’industrie, mais celle-ci s’est imposée d’elle-même, avec sa typicité et ses défis. Nous étions en 2010. 

Depuis, nous avons effectué beaucoup de développement de produits, inspirés et en faveur de la mode. Comme les maisons de couture, nous avons développé des collections et réalisé des shootings. Puis, nous avons pris part aux salons phares comme Première Vision à Paris. La dynamique actuelle de la mode nous oriente vers des matières éco-responsables, naturelles et traçables, comme la laine ou le lin. Ainsi, les microcommandes (quelques mètres, ou pièces, ou paires) que nous produisons pour nos clients sont un autre service important : nous fabriquons sans minimum et rapidement. Et les possibilités de produits sont infinies, nous partons de 10 000 références, se déclinant en 2400 couleurs pour 80 matières et auxquelles s’ajoutent des finitions !

 

« L’objectif ? Grâce à des quantités plus importantes, faire baisser les prix sur le territoire national. »

 

Ensuite, nous participons depuis 2018 au projet Innofabmod financé par le fonds européen de développement régional (FEDER – Europe et Région Pays de la Loire), dédié à l’industrie du futur. En tant qu’entreprise labellisée du patrimoine vivant (EPV) c’est une gageure. Concilier les héritages du passé avec les enjeux futurs est passionnant. Nous nous sommes engagés à développer un « lean management », un management plus « juste », qui tend à améliorer le potentiel économique de l’entreprise grâce à un ensemble d’outils, comme un système d’indicateurs de terrain. Un outil clé, car il met à contribution l’ensemble des salariés ! Depuis 2010, le chiffre d'affaires a plus que doublé, ainsi que le nombre de salariés ; après COVID, ce chiffre d’affaires est repassé au-dessus d’avant crise, avec autant de personnel, un service et des conditions de travail améliorés. Ces évolutions d’organisation se font en améliorant la qualité de la production et en réalisant 150 microcommandes par semaine. Ainsi, des commandes de moins de 100m de rubans, cordons, galons, sangles, passepoils, dentelles, qui demandaient plusieurs semaines de mise en place, ont pu devenir hebdomadaires. Ce type de projet demande du temps, nous sommes maintenant opérationnels, mais il révèle tout le potentiel d’une entreprise, tant matériellement qu’humainement parlant.

Enfin, le dernier projet sur lequel nous travaillons aujourd’hui s’inscrit dans le cadre de France Relance. L’objectif ? Grâce à des quantités plus importantes, faire baisser les prix sur le territoire national et relocaliser des marchés en France… 


Quel rapport entretenez-vous au territoire, à la région dans lesquels vous vous inscrivez ? 

Je souhaite d’abord souligner que la région des Pays de Loire est devenue l’une des grandes régions textile de France, après Lyon. De par l’histoire de la région, nous avons essentiellement des façonniers et des maroquiniers qui représentent environ 6000 emplois. Aujourd’hui, le textile en Pays de Loire est un secteur d’avenir tout comme l’aéronautique ou l’agroalimentaire. Cela implique un suivi constant et dynamique de la Région.

La SCF est en effet située dans un bassin textile historique. Avant sa création en 1969, le lin était la matière principalement transformée et utilisée à Cholet. La ville était reconnue pour ses draps, qui ont malheureusement disparu au profit du coton. Avec le modernisme encouragé par la période Pompidou [1962 - 1974], le lin, qui est associé à un univers de grands-mères, rêche et terne, a disparu autant dans les mentalités que dans la production. Je pense qu’il faut souligner notre regain d’intérêt pour ces matières. Car si le lin ne possède pas de difficultés pour se redévelopper, je crois qu’il en est plus question pour la laine. Beaucoup de coopératives existent et sont déjà structurées chez les liniers, qui grâce au monopole mondial de la production de lin en Normandie, ont effectivement plus de moyens que le milieu de l’élevage… Créons aussi une place pour la laine !

 

« [...] en défendant des savoir-faire et des productions françaises nous défendons un système de valeurs commun. »

 

Quelle est d’ailleurs la part de produits en laine dans votre production actuelle ?

Tout dépend du client. Nous réussissons à utiliser de la laine même en été, dans des bandes, des cordons, des lacets, et bien que le pourcentage soit faible, il a progressé depuis trois ou quatre ans. Au début de l’entreprise, la laine venait d’Autriche. Nous nous concentrons maintenant sur de la laine française, qui est de plus à un bon prix… il est le même ! Si certains déplorent le manque de couleurs dans les laines françaises, je leur rétorque que nous possédons une palette de l’écru au beige, au marron et au noir déjà très nuancée, et ceci sans teinture. De plus, il est bien évidemment possible de teindre en France. Nous attendons avec impatience les laines issues du projet Tricolor.

En quoi diriez-vous que la SCF s’engage durablement pour la société de demain ?

Je crois fondamentalement qu’en défendant des savoir-faire et des productions françaises nous défendons un système de valeurs commun. Comme j’ai pu l’évoquer précédemment, les savoir-faire ancestraux n’empêchent pas l’innovation. 
Ensuite la transmission de ces savoir-faire va au-delà de la stratégie économique, elle correspond à une philosophie.  Voyez-vous, en termes de formation à nos métiers il n’y a pas de formation institutionnelle. Ainsi, nous envoyons nos salariés se former au tissage en Suisse qui sont les derniers conservateurs de l’enseignement de ces disciplines techniques pour nos machines. Ensuite, il faut quatre ans de formation avant qu’un opérateur soit vraiment autonome. En revanche, il n’existe rien pour le tressage, et toute la formation se fait à l’usine. Le processus est très long, d’autant qu’il s’agit d’un parc de 1500 métiers, dont 1062 vieux métiers en bois. Par exemple, nos tresseurs sur métiers bois ont débuté leur formation en 2013 et ne sont autonomes que depuis un an… Toutes ces compétences compliquées et longues à mettre en place sont autant d’indicateurs d’un modèle d’entreprise d’excellence, pour ainsi dire impossible à reprendre ailleurs… Je pense que la sauvegarde d’un patrimoine matériel et immatériel est un acte d'engagement pour les générations futures. C’est un des objectifs du label EPV. C’est aussi retrouver des savoir-faire perdus, c’est l’objectif de Tricolor.  
 

Comment s’est passée votre adhésion au Collectif Tricolor ?

Je fais partie des premiers arrivés, car j’ai rencontré Pascal Gautrand, délégué général du Collectif, sur le salon Première Vision. Ma première contribution a été de demander des fils pour réaliser des échantillons pour le Collectif et montrer ce qu’il était possible de faire avec (vous pouvez venir voir les produits ici !).
 

Enfin, quelle serait selon vous l’action principale à réaliser aujourd’hui pour les filières lainières de demain ? 

Je pense qu’il faut agir sur trois volets. Trouver des débouchés, car une fois qu’il y aura des commandes, il y aura des rentrées et nous pourrons fonctionner librement. Il est important de calculer la répartition des marges. Il est nécessaire que la chaîne de valeur soit équitable pour tout le monde, et je suis content que cela soit un sujet qui fasse discuter les membres du Collectif. En parallèle, l’enjeu est de construire un tissu industriel textile sur le territoire français utilisant à la fois des méthodes ancestrales et modernes. 

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