Portraits du Collectif Tricolor. Une multiplicité de professions, et autant d’hommes et de femmes engagés dans la restructuration des filières lainières françaises. À travers une série d’entretiens, le Collectif Tricolor vous emmène à la rencontre de ses partenaires. __________________________________

Aujourd’hui, rencontre avec Luc Lesénécal, président des Tricots Saint James et de l’INMA
[Institut National des métiers d’art et du patrimoine vivant].


Entreprise régionale centenaire, les Tricots Saint James s’inscrivent dans le paysage normand depuis 1850, époque à laquelle l’établissement était encore une filature avant de devenir en 1889 la marque française iconique des vêtements marins. Actrice de l’aval des filières lainières françaises, l’entreprise figure parmi les premières en France à réutiliser une matière première française pour des produits 100% traçables.

Pour commencer, que vous évoque personnellement le mot « laine » ?


Lorsque je pense à la laine, je pense aux mots “naturel”, “respirant”, “Saint James”… Et à un souvenir d’enfance, aussi, celui du pull qui grattait lors des vacances en Normandie !

Qu’est-ce qui vous a amené à exercer votre profession ?


Après avoir passé 24 ans dans le secteur de l’agroalimentaire en Normandie, j’ai eu l’opportunité de devenir actionnaire des Tricots Saint James en 2012, pour lesquels j’assure la présidence depuis maintenant presque dix ans.

Vous étiez effectivement à l’époque directeur général adjoint de la Coopérative laitière d’Isigny Sainte-Mère, quel lien faites-vous entre cette activité et votre investissement actuel pour Saint James ?


Il y a en effet des similitudes entre Isigny Sainte-Mère et Saint James. Les deux entreprises sont fortement attachées à leur terroir et leur savoir-faire est indéniable. Le pull marin est à Saint James ce que la crème fraîche et le beurre AOP sont à Isigny : des produits de terroir, de
qualité, fabriqués localement avec un cahier des charges strict et un savoir-faire humain. Les deux entreprises sont d'ailleurs labellisées Entreprise du Patrimoine Vivant [EPV], un label de reconnaissance de l’État pour distinguer des entreprises de savoir-faire industriels et
artisanaux d’excellence.

Quel rapport entretenez-vous au territoire dans lequel vous vous inscrivez, à la région, à la localité dans laquelle vous vous situez ?


Installés dans le village de Saint James depuis plusieurs générations, nous bénéficions tout d’abord d’un ancrage historique dans la région. Cette année, nous fêtons nos 132 ans. Parmi les 300 personnes travaillant dans nos ateliers, ou les dix salariés supplémentaires qui sont recrutés chaque année, la moitié est normande et l’autre bretonne. C’est dire que nous cherchons l’alliance des régions ! Je suis moi-même normand et le directeur général [Patrice Guinebault] breton.
Le label EPV, comme l’association ARSEN [Association Régionale des savoir-faire d'Excellence Normands] sont très importants dans nos relations avec les autres entreprises. Nous sommes en effet soixante labellisés en Bretagne et Normandie qui discutons régulièrement ensemble. Il est aujourd’hui fondamental de faire partie de réseaux et d’entretenir le dialogue. Se retrouver sur des salons, par exemple, permet de voir les projets des autres, d’en discuter, ainsi que de se
positionner. L’un des sujets vifs des entreprises françaises et des partisans du made in France concerne notamment l’export. Mais j’ai souvent tendance à dire que si plus de 40% de notre activité se situe et réussit à l’export, c’est que pour être fort à l’export, il faut d’abord l’être sur son territoire.

Lors de la fondation de la marque, la laine était issue de la région et était à destination des marins… à partir de quand les Tricots Saint James sont-ils allés chercher leur matière première
plus loin ?


Le changement a eu lieu lorsque les éleveurs ont fait le choix d’élever leurs moutons uniquement pour la viande. Auparavant, les moutons de pré-salé [la race locale] garantissaient des revenus diversifiés, mais aujourd’hui, comme pour beaucoup de races, leur laine est stockée ou exportée en Asie et ne revient plus en France que sous forme de produits transformés. Selon moi, il est temps aujourd’hui de permettre aux éleveurs de posséder des troupeaux lainiers, dont le débouché principal serait la laine. Le tout est d’informer sur les débouchés que cette matière première induit. En tant que marque pionnière de pulls marins tricotés, notre matériau phare reste la laine ! Nous avons ainsi été les premiers à remettre sur le marché en 2020 des pulls en laines 100% françaises, sur deux modèles [que vous pouvez retrouver ici] et continuons notre progression en sortant deux modèles supplémentaires cette année.

En quoi diriez-vous que Saint-James s’engage pour la société de demain ?


Je dirais que nous faisons de la politique au sens noble du terme, dans la mesure où nos objectifs sont aujourd’hui intimement liés à la reconstruction d’une filière. Produire en France, avec des matières françaises est une gageure pour la plupart d’entre nous. En gardant nos
ateliers à Saint James, et à travers le partenariat réalisé avec le Collectif Tricolor, nous faisons en sorte de rendre ce projet de restructuration des filières lainières réaliste. Parallèlement à cela, nous nous engageons pour la filière du lin, dont la Normandie possède encore le monopole de production mondial. Laine ou lin, nous souhaitons valoriser l’ensemble
des fils à leur sortie de filature et je crois au redéveloppement de ces deux filières. Il est plus réaliste de revaloriser les ressources naturelles françaises que d’essayer de faire pousser du coton. Ce ne sont pas des projets utopiques. En étant au bout de la filière, en aval de celle-ci, nous remarquons la place importante qu’il faut redonner à l’élevage, qui se situe en amont. Que le mouvement se fasse en Normandie ou dans d’autres régions, il est certain que ces filières créeront de l’emploi et une attractivité des territoires. Analysez la tendance actuelle de l’économie circulaire et du développement de l’écoconsommation et vous verrez !

Qu’est-ce qui vous a motivé à intégrer le Collectif Tricolor ? Et comment avez-vous pris connaissance du Collectif ?


Parallèlement à mon statut de président des Tricots Saint James, je suis aussi président de l’Institut National des Métiers d’Art [INMA]. Cet institut existe pour promouvoir, favoriser, et faire travailler ensemble les métiers d’art et du patrimoine vivant. Il propose une expertise aux pouvoirs publics, aux collectivités locales et aux acteurs territoriaux qui leur permet de créer des réseaux innovants. C’est donc par ce biais que j’ai pu prendre connaissance du Collectif Tricolor, dont l’objectif correspondait parfaitement à la volonté de Saint James d’appuyer la
reconstruction d’une filière locale.

Enfin, quel serait selon vous le mouvement principal à réaliser aujourd’hui pour les filières
lainières de demain ?


Pour que notre mouvement porte ses fruits, il est nécessaire de reconstituer tous les maillons de la chaîne. Moi, je suis en aval de la filière, et il ne suffit pas d’encourager les éleveurs qui sont
en amont. Il faut que le cœur de la filière suive, à savoir la transformation de la laine. En effet, il y a tout à refaire. Aujourd’hui, la majorité des filatures et des entreprises de lavage se situent
chez nos voisins, qui ont su conserver des économies semi-industrielles, voire circulaires, viables. Mon besoin aujourd’hui, c'est d'avoir du fil pour tricoter. Lorsque le tissu industriel
français pourra répondre à ces besoins, alors nous serons sûrs de posséder et de pouvoir conserver des filières durables et locales.
Une seconde action, plus directe, concerne la communication. Je pense que sensibiliser les consommateurs et la population, par exemple aux races de moutons et leur caractéristiques, constitue un premier pas vers la compréhension de ce que représente un fil ou un produit en
laine. Il faut partir de la base. Telle laine est adaptée pour tel usage, telle autre pour tel autre. Je pense que le consommateur est prêt à entendre ces nouvelles informations.

le 19 octobre 2021

 
 

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