Portraits du Collectif Tricolor. Une multiplicité de professions, et autant d’hommes et de femmes engagés dans la restructuration des filières lainières françaises. À travers une série d’entretiens, le Collectif Tricolor vous emmène à la rencontre de ses partenaires.
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Aujourd’hui, rencontre avec Jean-Roch Lemoine, président du Collectif Tricolor, et secrétaire général adjoint de la FNO [Fédération Nationale Ovine].

Partie prenante du collège de l’élevage et président du Collectif Tricolor, Jean-Roch Lemoine nous expose aujourd’hui son parcours en tant qu’éleveur et personnalité politique. Les laines issues de l’élevage ? Un véritable défi pour les éleveurs français, à relever à plusieurs : « Comme l’association de la culture et de l’élevage, le but est de trouver la bonne complémentarité entre tous. »

Pour commencer, que vous évoque personnellement le mot... « laine » ? 

Brebis, chaleur, pull, tonte… voilà les premiers mots qui me viennent. Mais cela me fait aussi penser à ma mère qui tricotait, et à la ferme, parce que le métier d’éleveur c’est une affaire de famille. J’ai repris l’exploitation de mes parents, avec de la grande culture et des brebis, romanes et vendéennes.


 

Qu’est-ce qui vous a amené à reprendre la ferme familiale ?  

J’avoue n’avoir jamais pensé à faire un autre métier. Cependant, malgré la prévalence des grandes cultures dans notre région [l’Aube], j’ai développé une plus grande passion pour l’élevage. Au fil des années, j’ai pu orienter l’affaire familiale dans cette branche, ce qui nous a fait passer de 300 brebis en 1992 à 2000 brebis aujourd’hui. Évidemment cela ne se fait pas tout seul, deux salariés viennent compléter le duo que je fais avec mon fils. J’ai donc parallèlement fait évoluer les cultures pour arriver à l’autonomie alimentaire des animaux. De 178 hectares de culture exclusivement fondée sur la betterave, le blé, l’orge et le colza [cultures majoritaires de la région], je suis passé à de la prairie temporaire, de la luzerne et des escourgeons pour les moutons, qui viennent un peu compléter la betterave, le blé et la pomme de terre. Sur les 226 hectares actuels, 120 sont dédiés à mes brebis. Le fait de pouvoir faire des productions végétales et animales créent des synergies positives, la culture m’apporte de la paille et de la nourriture pour les animaux, et eux produisent un fumier qui me permet de réduire l’achat d’engrais chimiques ! 

 

 

 

« Être éleveur, c’est changer de métier tous les jours. 
Un jour sur le tracteur et un jour avec les bêtes, un jour on fait de la maçonnerie et un autre de la vente. »

 

 

 

Quel rapport entretenez-vous au territoire dans lequel vous vous inscrivez ?

Je dois dire que nous avons de très bonnes relations entre collègues de la région. Par exemple, avec une dizaine d’autres éleveurs, nous avons mis en place la marque « L’Agneau de l’Aube » que nous vendons en partie aux grandes surfaces et en partie à de plus petit distributeurs de la région. Nous imposons un prix de vente et c’est à eux de prendre ou non. Les commandes vont de 1 à 20 agneaux selon les magasins et les boucheries traditionnelles.  Chaque semaine, ce sont entre 30 et 50 agneaux qui sont commandés. Dans l’ensemble l’initiative fonctionne plutôt bien et est appréciée de tous. Cette démarche s’effectue entre le 1er février et le 15 septembre, durée au cours de laquelle nous vendons environ 1350 agneaux, ce qui permet de valoriser une petite partie de la production. Avec les agriculteurs, nous faisons des échanges de parcelles, de cultures et nous allons pâturer des couverts hivernaux dans leur champ. Ainsi, ils ne sont pas obligés de les détruire puisque les brebis ont tout mangé, tout le monde est gagnant.


 

Diriez-vous que votre profession est politique ?

Oui, notre profession est intimement liée aux politiques agricoles nationales et européennes, du fait des contrôles et des subventions qui permettent à la majorité d’entre nous de vivre de notre métier. Malgré ces contraintes, je voudrais souligner que nous avons une assez grande latitude pour faire ce que nous voulons. Les politiques nous donnent une ligne directrice, et après c’est à nous de naviguer et de prendre des initiatives. Grâce à cette latitude, j’ai pu garder une direction pour la ferme qui m'est propre. Être éleveur aujourd’hui dans l’Aube est atypique. Nombreux sont ceux qui m’ont déconseillé de continuer, en me disant que je m’embêtais plus qu’autre chose. Ici, la terre est facile à travailler et dédiée aux grandes cultures céréalières. Des conseillers de gestion m’ont même découragé d’embaucher des salariés car cela allait coûter cher ! Mais comment les gens trouveront-ils du travail si personne ne les embauche ? Et comment prendre du temps de repos si le travail nous prend nos week-end et nos congés ?  Finalement oui, je pense qu’avoir continué dans l’élevage représente un certain engagement. 

Je vais faire l’ancêtre en disant « qu’avant », les politiques agricoles avaient des perspectives sur dix à vingt ans, alors  qu’aujourd’hui, elles ne s’engagent que sur cinq ans. Et encore, elles sont revisitées tous les deux ans et demi. Comment voulez-vous maintenir une constance dans votre activité et des objectifs durables avec autant de remaniements ? En alliant le végétal et l’animal j’essaye de parer à ces instabilités et continuer ce que j’ai envie de faire. Je pense honnêtement que dans la vie, on a toujours le choix. 

Qu’en est-il de votre rôle de secrétaire général adjoint au sein de la FNO et de votre pratique d’éleveur ovin aujourd’hui ?

À l’heure actuelle, nos syndicats s’appuient beaucoup sur la PAC [Politique Agricole Commune], mais à travers cette bureaucratisation, je vois surtout que nous sommes en train de perdre la notion de production et d’innovation. Le revenu des éleveurs est fonction de trois critères (le prix de vente, la technique, et la PAC qui donne droit aux versements de subventions). Notre travail au sein de la FNO est de trouver des solutions pour que le prix qui dépend du marché soit rémunérateur, et que la PAC rémunère au juste prix les aménités positives de l’élevage ovin ainsi que les services rendus à l’environnement et au territoire français et que les éleveurs améliorent en permanence leurs résultats techniques de leur exploitation.  

La production ovine a toujours été considérée comme le parent pauvre de l’agriculture. Je pense que la filière s’endort actuellement sur cette position, et n’intéresse donc que très peu les jeunes. La spécialisation dans l’élevage, qui plus est ovin, demeure minoritaire dans les cursus scolaires. Je pense qu’il s’agit d’un rapport au travail qu’il faut faire évoluer. Les mentalités modernes considèrent qu’il est plus facile de gagner cent euros assis dans un tracteur qu’en entretenant des bêtes. Alors que l’activité est tellement diversifiée ! Travailler sur un tracteur ou travailler assis pendant huit heures dans un bureau ne doit pas être facile tous les jours non plus. Être éleveur, c’est changer de métier tous les jours. Un jour sur le tracteur et un jour avec les bêtes, un jour on fait de la maçonnerie et un autre de la vente. Il n’y a qu’en période d’agnelage que nous sommes monofonctionnels !


 

Qu’est-ce qui vous a amené à devenir président du Collectif Tricolor, et comment envisagez-vous le travail au sein d’un collectif ?

J’étais secrétaire général adjoint de la FNO et chargé du dossier laine lorsque le Collectif s’est créé. Le conseil d’administration souhaitait placer l’amont de la filière, à savoir le collège de l’élevage, à la présidence, et j’ai été élu. 

Ce qui est intéressant lorsqu’on remet en place une filière, c’est qu’il faut faire en sorte que tout le monde s’entende. Personne n’a les mêmes intérêts. Ainsi, comme l’association de la culture et de l’élevage, le but est de trouver la bonne complémentarité entre tous. En étant présent dans l’interprofession ovine qui rassemble 13 familles différentes, je suis tout aussi confronté à ces problématiques, il faut arriver à ce que tous soient gagnants ! Si les éleveurs ont choisi d’intégrer Tricolor, c’est que la valorisation des laines est un problème sans âge. Avec la diminution constante de la valeur de cette matière première, il faut comprendre que les éleveurs aient minimisé leur vigilance sur la qualité…  Dans le jargon, on dit que se lever le matin avec un chantier de tonte signifie se coucher plus pauvre le soir. [Ces dernières années en France, le coût de la tonte est supérieur au prix de vente de la laine]. Mais si des débouchés réguliers se mettent en place et qu’une meilleure rémunération devient possible, il est certain que les pratiques changeront. Il est fou de constater à quel point de tout petits efforts peuvent changer les choses. Passer un coup de balai avant la tonte et effectuer un pré-tri de la laine permettent de minimiser la paille dans la toison et de mettre en avant les meilleures parties. Est-ce utopiste ? Je ne crois pas. Même si changer les habitudes est difficile, je pense que l’effort de tous permettra qu’à l’avenir, la laine ait sa place sur le marché.


 

Enfin, quelle serait selon vous le mouvement principal à réaliser aujourd’hui pour les filières lainières de demain ? 

Le travail que nous faisons avec Tricolor pardi ! Rassembler tous les chaînons de la filière, tâcher de redonner ensemble une notoriété aux laines françaises, je pense dans ce sens qu’il y a beaucoup de communication à faire… Ce que dans le milieu agricole nous n'avons pas l’habitude de pratiquer ! Mais il est crucial de montrer ce que l’on fait, de montrer ensemble, et de façon marquante, une matière noble, renouvelable, et durable. 

Il y a également un travail de sensibilisation de la population à réaliser. Faire en sorte que nos mentalités n’associent pas systématiquement la laine au textile. On devrait y voir autant un isolant, un engrais, voire des molécules transformables, comme le végétal a pu développer le plastique ! Gardons en tête que la laine est là chaque année, et que le potentiel de transformation est réel, mais que pour réussir à la revaloriser, il faut mobiliser les troupes.


 

 — le 14 octobre 2021


 

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