Portraits du Collectif Tricolor. Une multiplicité de professions, et autant d’hommes et de femmes engagés dans la restructuration des filières lainières françaises. À travers une série d’entretiens, le Collectif Tricolor vous emmène à la rencontre de ses partenaires. __________________________________

Aujourd’hui, rencontre avec Daniel Allain, ancien chercheur dédié aux fibres textiles à l'INRAE [Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement].

Si le textile est un pôle majeur de l'économie en France et dans le monde, la laine est toujours restée en marge des recherches scientifiques et du développement des fibres. Qu'en est-il aujourd'hui ? Le regain d'intérêt pour les matières naturelles a-t-il une influence sur la sphère scientifique ? 

Pour commencer, que vous évoque personnellement le mot... « laine » ?

Pour moi il s'agit d'une des fibres d'origine animale que l'on utilise dans l'industrie textile, non ?


Dans quel contexte avez-vous été amené à exercer votre profession et qu'est-ce qui vous a spécialisé dans le textile ?

J'ai effectué l'ensemble de ma carrière à l'INRA [ [Institut national de la recherche agronomique] (1) et me suis tourné très progressivement vers le textile si j'ose dire. Je m'occupais d'un élevage expérimental, en parallèle duquel j'étudiais la biologie et la physiologie du pelage des animaux « d'intérêt ». Il s'agissait d'analyser la manière dont leur poil poussait, ainsi que la relation entre la croissance des fibres et le développement du pelage  en relation avec les variations annuelles de la durée d'éclairement, que l'on appelle en langage technique « photopériodisme ».
Il faut savoir que la grande majorité des animaux sauvages et domestiques ont leurs poils qui se renouvellent régulièrement de façon naturelle. Tous muent, et seul le mouton mérinos est exclu de cette vérité. Ainsi, l'ancêtre du mouton, le mouflon, renouvelle sa toison une fois par an, comme certaines chèvres laitières ou cachemires dont la récolte de laine est déterminée par le rythme annuel de croissance du pelage.. En revanche, la chèvre angora ou le mouton mérinos aux fibres superfines, ne renouvellent leur toison qu'une fois tous les six à sept ans. Ce qui nécessite de les tondre une à deux fois par an en raison de la prolificité de la laine.
Pour résumer, c'est par les sélections effectuées au cours des siècles que le mouton n'a plus renouvelé annuellement sa toison de laine ! L'homme a cherché à sélectionner des fibres de plus en plus longues et de plus en plus fines, et au fur et à mesure, le phénomène de la mue a disparu. Puis, l'industrie du textile a décliné et la laine est devenue une charge pour beaucoup d’éleveurs en Europe. Mais attention, certaines races, bien qu'elles soient minoritaires, renouvellent encore partiellement voire totalement leur toison. Le phénomène est invisible car la tonte est réalisée avant.

Il ne faut également pas confondre sélection naturelle et manipulation génétique. Les sélections effectuées à l'INRA se font suite à l'observation des comportements et des adaptations des animaux.
Personnellement, je me suis spécialisé sur tous les animaux présentant un intérêt pour la toison ou la fourrure, tels que le vison, le lapin et la chèvre angora, et le mouton est arrivé plus tard. Vous comprenez, l'intérêt pour la laine a complètement disparu depuis les années 1980-90... Ne valant plus rien sur le marché, elle est devenue inexistante dans les recherches. Aujourd'hui, les questions portent essentiellement sur les usages et les débouchés. Malgré tout, je maintiens une recherche pour la suppression de la tonte chez certaines races ovines, afin qu'elles retrouvent leurs mues naturelles. L'INRA possède déjà un troupeau de ce type, mais pour diffuser le modèle, il faut qu'il y ait preuve d'intérêt.

 

« [...] c'est par les sélections effectuées au cours des siècles que le mouton n'a plus renouvelé annuellement sa toison de laine ! »

 

Quelle place est donc donnée à la laine dans le milieu de la recherche aujourd'hui ?

Nous sommes malheureusement toujours dans une demande faible pour une recherche sur les laines. Dans les années 1990-2000, j'étais le dernier chercheur à travailler sur les fibres textiles et maintenant que je suis à la retraite, mon poste n'a pas été remplacé... Même si certains projets ponctuels préalablement initiés continuent d'être menés, personne ne travaille à temps complet sur le sujet. Deux projets seulement sont maintenus. L'un pour la valorisation de la peau et du cuir des agneaux Lacaune. L'autre pour une sélection de moutons en fonction de leur mue, en alternative à la tonte, pour les races ayant une toison à très faible valeur. Je les accompagne, et poursuis des recherches de partenariats scientifiques. Car oui, après avoir été dans la recherche, j'ai été sollicité pour la recherche de partenariats pour le milieu scientifique !

 

 (1) En 2020, l’INRA fusionne avec l’IRSTEA [Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture] et devient l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement [INRAE].

Quel lien entretenez-vous avec les territoires avec lesquels vous avez pu travailler ?

Grâce à mes missions spécifiques liées à la chèvre angora, j'ai conservé beaucoup de relations avec les éleveurs. A la différence des troupeaux ovins, l'élevage de chèvres angora en France est assez récent, il date du début des années 1980. Lorsque j'ai commencé à travailler à l'INRA de Toulouse, j'ai tout d'abord ouvert un laboratoire pour un programme national d'amélioration génétique de la chèvre angora, qui se basait sur l'observation des laines par pointage, ainsi que par des mesures objectives sur la qualité des fibres : finesse, rendement au lavage, et taux de poils grossiers. Suite à un partenariat avec l'IFTH [Institut Français du Textile et de l’Habillement], nous avons construit un nouveau laboratoire au sein duquel il ne reste plus qu'une laborantine qui part à la retraite... Personne ne sait encore où seront réalisées les analyses à partir de 2022. 
Vis-à-vis de cette situation, une singularité existe. L'organisation des éleveurs de race Mérinos d'Arles, qui venaient autrefois au labo de l'INRA, s’est délocalisée dans le Nord pour réaliser leurs propres analyses de fibres. Il est frustrant de ne pas pouvoir agir de même pour les autres races ! Le nouveau laboratoire que nous souhaitons créer à destination des laines nécessite des fonds et du temps. Pour solliciter du matériel d'analyse de l'INRAE, il faut convoquer beaucoup de procédures et d'expertises. Comme je vous l'évoquais précédemment, je sers d'intermédiaire entre l'INRA, Capgènes [l'organisme de sélection pour les chèvres angora] et le Collectif Tricolor, pour tenter de rassembler tous ceux qui seraient intéressés par un laboratoire d'analyse de fibres à destination des éleveurs. Je dis bien à destination des éleveurs, car ce laboratoire doit être capable de réaliser des analyses à un coût compatible avec la valeur de la toison des animaux.


Comment avez-vous pris connaissance du Collectif Tricolor, qu’est-ce qui vous a motivé à l’intégrer ?

J'ai été contacté par le Collectif au printemps 2020, un peu avant l'arrivée du covid. Malgré la crise, je continuais de mener un projet avec Capgènes sur la sélection et la conduite de schémas génétiques, ainsi qu'avec un collectif de valorisation de laines locales dans la Creuse, pour mettre en place du pointage et de l'analyse de laines. En considérant ces différents réseaux, je me suis dit : pourquoi ne pas rassembler tout le monde ! Nous avons tous le même objectif, inscrivons-nous dans une démarche globale. C'est à ce moment-là que j'ai rejoint Tricolor.

 

« Nous avons tous le même objectif, inscrivons-nous dans une démarche globale. »

 

Enfin, quelle serait selon vous l’action principale à réaliser aujourd’hui pour les filières lainières de demain ?

Rémunérer la laine à son juste prix, tout en répartissant équitablement sa valeur sur l'ensemble de la chaîne. Le plus important, c'est que la marge dégagée entre le dos de l'animal et le dos des consommateurs soit répartie équitablement. Les éleveurs d'angora avaient bien compris qu'en occupant toute la chaîne, et en concentrant tout le prix dans le produit fini, ils pouvaient, de même que les transformateurs à façon, se dégager une marge. Une attention particulière est portée à la matière car c'est elle qui crée le revenu. Pour les petits groupes dont je parlais plus haut, ils agissent similairement. Ils transforment à façon et revendent en direct, donc chacun se dégage une marge. Je pense que suivant ce modèle, il est possible d'occuper un marché en passant du local au national, voire à l'international. C'est pourquoi il faut que les éleveurs trouvent de l'intérêt à bien s'occuper de leurs toisons. Ne pas porter d'intérêt à la toison et être mal rémunéré en retour, cela paraît normal. Mais porter de l'intérêt à la toison et être mal rémunéré, ce n'est pas normal !

 

— Le 3 décembre 2021

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